Le manque de traducteurs et d'interprètes jurés
Question parlementaire écrite de Philippe Goffin (MR) au Ministre de la Justice. Une fois de plus les efforts de l'UPTIJ ont abouti à une question parlementaire.
À la suite de la publication de l’article « La grogne des interprètes et traducteurs pour la justice et la police. Ils sont parfois payés 10 euros brut par heure pour une demi-journée » dans La Dernière Heure du 15 juin 2023, trois questions parlementaires ont été posées. Le ministre de la Justice vient de repondre à la deuxième question « Le manque de traducteurs et d'interprètes jurés ».
Question de Philippe Goffin (MR) déposée le 24 juillet 2023 :
Le porte-parole de l'Union des traducteurs et interprètes jurés, Henri Boghe, indiquait récemment que: "Il est extrêmement difficile pour la police, les juges d'instruction et les tribunaux à tous les niveaux d'instance, de trouver des interprètes afin d'assister les interrogatoires dans les langues étrangères. Et je ne parle même pas du sorani, du pachtoune ou du dari. La difficulté de trouver des interprètes existe pour les langues courantes, anglais, français et néerlandais. À Bruxelles, la justice doit constamment demander à des interprètes de venir de Flandre, et donc de faire la route, pour venir interpréter parfois pendant moins d'une heure".
Henri Boghe explique ce désintérêt notamment par le fait que votre SPF "n'offre pas un système de rémunération correct et équitable". À cela s'ajoute une problématique liée au système même de rémunération (notamment l'indemnisation à la minute effective après la première heure).
1. Quelles sont selon vous les principales causes de ce manque d'attractivité?
2. Entendez-vous réformer le système pour le rendre plus attractif? Dans l'affirmative, comment concrètement entendez-vous procéder?
La réponse publiée du Ministre de la Justice :
Les revendications du secteur visant une adaptation des indemnités sont connues et sont abordées dans le cadre des réunions de consultation que mène régulièrement ma cellule stratégique avec les différentes associations professionnelles.
Il est vrai qu'à Bruxelles, il est parfois difficile de trouver certains interprètes. La concurrence avec les institutions européennes et les nombreuses entreprises internationales nous joue des tours.
Les indemnités des traducteurs et interprètes jurés sont régies par arrêté royal et sont financées par l'allocation de base relatives aux frais de justice dans notre budget. L'arrêté royal tient compte du temps de travail effectif, du temps d'attente et des frais de déplacement. Ces indemnités sont indexées annuellement et adaptées à l'évolution du coût de la vie. La Belgique est l'un des rares pays à prévoir cette indexation automatique. Au cours de cette législature, l'indexation en 2021 a été de 0,9 %, en 2022 de 3,9 % et en 2023, en raison de la situation géopolitique connue, de pas moins de 11,11 %. Cette indexation a un impact important sur le budget des frais de justice, car les budgets n'augmentent pas en fonction de l'indexation automatique. Par conséquent, lors du dernier contrôle budgétaire, j'ai demandé et obtenu un budget supplémentaire d'environ 10 millions d'euros pour compenser cette indexation. Une nouvelle indexation automatique aura également lieu en 2024. Comme celle-ci est calculée en utilisant, entre autres, l'indice santé moyen des quatre derniers mois de 2023, il n'est pas encore possible de communiquer la hauteur de l'augmentation pour 2024.
Cela ne veut pas dire qu'aucun effort n'a été fait pour améliorer les conditions de travail des traducteurs et interprètes jurés au cours des dernières années. Ainsi, l'accélération des délais de paiement des frais de justice était l'une des priorités absolues au début de la présente législature. Ces dernières années, de nombreuses améliorations ont été mises en place en ce qui concerne les délais de paiement des états de frais des traducteurs-interprètes grâce à une étroite collaboration avec le bureau de taxation et par le biais de Justinvoice, une plateforme numérique conviviale et sécurisée qui permet un gain de temps considérable dans la procédure de paiement. Le délai entre la réception des états de frais dans les bureaux de taxation et leur paiement a été réduit à 19 jours en moyenne. 90 % des états de frais sont payés dans les 30 jours.
Plusieurs autres processus de numérisation ont également été démarrés ou finalisés. Avec la création du registre national en 2017, une transformation importante avait déjà été réalisée. En 2022, le registre national des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés a également été ouvert au grand public. Désormais, tout le monde peut effectuer des recherches en fonction de la combinaison linguistique, par exemple. Auparavant, les citoyens et les entreprises, entre autres, devaient se s'adresser aux greffes locaux pour obtenir leurs coordonnées. Bien souvent, ces listes n'étaient plus à jour et aucun contrôle de qualité n'était en place. Dans la banque de données en ligne, les traducteurs, les interprètes et les experts sont listés non pas par ordre alphabétique, mais de manière aléatoire afin que chacun ait les mêmes chances d'être désigné. Avec plus de 1.000 recherches par jour, il est donc intéressant pour chaque traducteur et/ou interprète en Belgique d'être repris dans cette banque de données reconnue comme source authentique par le SPF Stratégie et Appui. Ce registre national est actuellement en plein développement et devrait devenir la banque de données de référence pour les traducteurs et interprètes jurés dans les années à venir, qui du fait de leur inscription dans ce registre national devrait garantir un travail de qualité et une disponibilité pour les services judiciaires et policiers.
Plusieurs initiatives seront encore prises pour compléter la législation et la mise en oeuvre du registre national. Les réglementations relatives à la formation continue et à l'anonymisation sont encore en cours d'élaboration. Le secteur sera également étroitement impliqué dans ce processus. Pendant que ces actions sont en cours, les évaluations se poursuivent en organisant des réunions de travail et en effectuant des comparaisons avec les registres nationaux des pays voisins.
Pour les traducteurs jurés, la procédure de légalisation est entièrement numérisée depuis le 1er décembre 2022; pour les traductions destinées à l'étranger, le SPF Justice a ajouté manuellement 2.400 traducteurs jurés sur la plateforme numérique eLegalisation du SPF Affaires étrangères. Au début de cette législature, les traducteurs devaient encore se déplacer en personne jusqu'aux tribunaux et ensuite jusqu'aux guichets successifs du SPF Justice et du SPF Affaires étrangères. La méthode numérique remplace ces déplacements chronophages.
D'ici la fin de l'année 2023, les traductions effectuées par des traducteurs jurés pourront également être déposées numériquement via l'application JustDeposit, disponible sur JustOnWeb. Une plateforme de vidéoconférence spécifique à la justice a été développée, JustCourt. Elle est adaptée au contexte spécifique des affaires judiciaires. Ce système sera prêt en 2024 et sera utilisé dans trois tribunaux (Bruxelles, Marche-en-Famenne et Malines) qui font office de sites pilotes. Un nouveau développement dans ce cadre est la gestion des audiences, que nous sommes en train de relier à JustCourt. L'objectif est d'éliminer les présences inutiles aux audiences. Cela permettra également de réduire les temps d'attente pour les interprètes. À l'avenir, une fonction "Calendrier des disponibilités" [Availability Calendar] sera ajoutée, permettant aux traducteurs/interprètes d'indiquer leurs disponibilités, afin qu'elles soient prises en compte dans la fonction de recherche.