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Des conditions de travail inimaginables pour les interprètes judiciaires.

Invitation presse du 12 septembre 2016

L’Union Professionnelle des Traducteurs et Interprètes Assermentés (UPTIA.be) se demande si le ministère public pourra parvenir à trouver suffisamment d'interprètes dans les langues requises pour l'audience dans le cadre du procès de la bande de trafiquants présumé d'êtres humains qui se poursuit demain à Bruxelles. Dans cette même affaire, les plaidoiries devant le tribunal correctionnel de Bruxelles ont dû, mardi dernier, être reportées à une date ultérieure par manque d'interprètes disponibles. Outre ses répercussions économiques évidentes sur le budget de l'État, un tel report d'audience est un cinglant revers pour notre état de droit démocratique.

Dans son dernier rapport annuel, le collège des procureurs généraux plaçait la traite des êtres humains à la cinquième place sur l’échelle des phénomènes criminels de l'année. Il appert de la note de synthèse de l'Image policière nationale de sécurité que la Belgique est une zone de transit pour les trafiquants d’êtres humains. 

Attendu que l'affaire sera, incontestablement, traitée cette fois, la presse et d'autres éventuels intéressés auront encore la possibilité de témoigner des circonstances invraisemblables dans lesquelles les interprètes requis sont tenus d'accomplir leur mission. L'UPTIA avait déjà relevé qu’en raison du manque alarmant d'interprètes encore disposés à travailler pour la Justice, l'on recourait de plus en plus souvent à la solution de secours de l'interprétation en relais. L'on travaille donc avec deux interprètes pour deux paires de langues, l'un des deux interprètes assurant le relai entre la langue source et la langue cible. Ce procédé est le résultat direct de la pénurie d'interprètes disponibles pour certaines langues. Cette manière de travailler alourdit et complique davantage le travail avec des interprètes et est la porte ouverte aux erreurs, omissions ou distorsions dans la traduction. Ce procédé plus complexe ralentit également le procès dans son ensemble et est plus coûteux, car il y a deux interprètes à rémunérer au lieu d'un seul.

L'acoustique dans les salles d'audience du palais de justice de Bruxelles est lamentable, les installations sonores sont inadéquates voire inexistantes. L'UPTIA avait demandé qu’il soit pourvu à la mise à disposition de valises d'interprétation, mais aucune suite n'a été donnée à ses propositions. En raison du grand nombre d'interprètes dans les différentes langues dans un procès, les voix des interprètes se superposent entre elles et avec celles des magistrats, des avocats ou des parties qui prennent la parole ou qui doivent pouvoir suivre les débats.

Les interprètes, contrairement aux autres parties concernées du procès, n'ont jamais la possibilité de consulter le dossier, encore moins le PV de synthèse ou le réquisitoire du ministère public. L'interprète n'a donc aucune connaissance préalable de l'affaire ou du contexte dans lequel celle-ci se situe. Durant l'audience, l'interprète est inévitablement amené à prononcer les noms parfois imprononçables des prévenus ou des victimes, il est souvent amené à traduire des chiffres, des articles et dispositions de lois sans en obtenir préalablement un support visuel (écrit). En outre, les juges, les magistrats du parquet et les avocats ne sont pas de leur côté formés pour travailler avec des interprètes en salle d'audience et ne tiennent pas suffisamment compte des conditions de travail de ces derniers.

Les interprètes doivent prendre place entre les prévenus qui doivent répondre de leurs actes de traite des êtres humains (dans le présent cas), mais cela vaut aussi pour les procès ayant trait au terrorisme, aux combattants syriens, aux barons de la drogue, aux trafiquants d'armes etc.  … à croire que les règles de sécurité ne s’appliquent pas aux interprètes.

Nous vous invitons à assister à cette audience publique qui se tiendra mardi 13 septembre 2016 à 14.00 heures dans la salle 01.1 du palais de justice au n° 1 de la place Poelaert à Bruxelles.

Dès 13.00 heures, le président et les membres du conseil d'administration de l'Union Professionnelle des Traducteurs et Interprètes Assermentés seront présents dans la salle des pas perdus du palais de justice afin de fournir de plus amples informations sur cette problématique. D'autres interprètes seront également présents pour témoigner des conditions de travail déplorables auprès de la Justice.

L'UPTIA se réjouit du fait que certains responsables du tribunal et du SPF Justice semblent désireux d'assister à cette audience afin de s'assurer personnellement de la situation. Une délégation de l'Union Professionnelle des Traducteurs et Interprètes Assermentés sera reçue ce lundi 10 septembre 2016 à 16.00 heures au cabinet du ministre Geens. L'Union Professionnelle nourrit l'espoir qu’au niveau de la cellule stratégique du ministre de la Justice, l'on se penchera, enfin, sur les conditions de travail des interprètes et des traducteurs assermentés dénoncées par l'Union Professionnelle.

Un travail plus sérieux que le projet d'arrêté royal auquel le ministre de la Justice a « travaillé » pendant deux ans. Nous espérons donc que le ministre aura une vision à long terme permettant la mise en œuvre de solutions constructives et structurelles en vue de la modernisation et de la professionnalisation du métier de traducteur et/ou de l’interprète. 

Information complémentaire de l'invitation à la presse du 13 septembre 2016

Le souci d’économie au sein de la justice et les tarifs désespérément bas pour les traducteurs et interprètes en matière pénale impliquent de réels risques. Les difficultés de trouver des interprètes aboutissent à la libération de prévenus et même à des acquittements. Pour certaines langues de l’UE, il faut compter sur les doigts d’une main les interprètes qui veulent encore bien travailler pour la justice. Dans les cas les plus urgents, l'on doit faire appel à des interprètes travaillant en relais, des interprètes doivent venir de l’étranger ou des membres du personnel de l’ambassade sont requis par les juges d’instruction comme interprètes occasionnels. Les traductions sont à l’origine de plus en plus de problèmes dans les grands dossiers pénaux. Les avocats sont de plus en plus souvent contraints de représenter leurs clients lorsqu’aucun interprète ne peut être trouvé. Les affaires sont alors traitées sans que l'inculpé ne puisse mener lui-même ou suivre sa défense. Des traductions erronées et une communication déficiente en matière judiciaire peuvent avoir de lourdes conséquences. Elles peuvent faire la différence entre une condamnation et un acquittement.

Sous-estimer cette problématique risque de coûter encore plus cher aux autorités. Le report d’un procès ou des recherches interminables pour trouver un interprète disponible pour une audition urgente en cas d’arrestation signifie à la fois une perte de temps et de moyens pour la justice et la société.  Les libérations, les acquittements, les reports ou les enquêtes compromises ne sont pas particulièrement favorables à la confiance des citoyens dans le fonctionnement de la justice. Ils augmentent en outre le sentiment d’impunité et d’insécurité.   

 

Il est donc essentiel que l’on investisse plus que jamais dans des traductions et des interprétations de qualité en matière judiciaire. Des traducteurs et interprètes indépendants, qui n’ont aucun lien avec les avocats ou les services de police, sont les mieux placés pour assurer en toute neutralité la communication entre les parties s’exprimant dans des langues différentes, faciliter le travail des avocats, des magistrats et des juges et garantir le droit à un procès équitable.

L’Union professionnelle des Traducteurs et Interprètes assermentés déplore que la directive européenne 2010/64/UE de 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales,  ne soit toujours pas transposée en droit belge. La création d’un statut à part entière pour les traducteurs et interprètes jurés est fortement ralentie par les restrictions budgétaires au sein de la justice.

L’UPTIA souligne une fois de plus l’élémentaire nécessité d’avoir, dans un état de droit qui se respecte, des traductions et des interprétations de qualité en affaires pénales, et ce afin de garantir que les normes reprises dans la Convention européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg soient intégralement respectées.

L’Union professionnelle des Traducteurs et Interprètes assermentés ne saurait assez insister sur le fait que pour mener une politique visant à garantir le droit à un procès équitable, les droits de l’homme, les droits des victimes et les mesures européennes de lutte contre la criminalité, des moyens supplémentaires sont nécessaires. Seule une rémunération correcte des traducteurs et interprètes à tous les niveaux de la procédure pénale peut éviter que d’autres traducteurs et interprètes assermentés ne quittent la profession. Des tarifs plus intéressants ne feraient en outre qu’augmenter le nombre de traducteurs et d’interprètes qui envisageraient d’accepter des missions pour la justice. Le système judiciaire ne pourra qu’en tirer profit. 

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