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La protection des mineurs non accompagnés et leur droit à un interprète

En se basant sur les observations critiques de l'UPTIA, la députée fédérale Annick Lambrecht a posé une question parlementaire orale au ministre de la Justice sur le droit à un interprète et le manque d'interprètes disponibles. Commission de la Justice du mercredi 20 avril 2018

 

06 Question de Mme Annick Lambrecht au ministre de la Justice sur "la protection des mineurs et leur droit à un interprète" (n° 26016)

06.01 Annick Lambrecht (sp.a): La camionnette à bord de laquelle se trouvait la petite Mawda qui a perdu la vie transportait également trois étrangers mineurs. La Belgique est contrainte de leur offrir protection et de faire intervenir le service des Tutelles mais, selon le chef de la zone de police concernée, cela n'a pas été fait en raison de l'absence d'un interprète. Par conséquent, il n'a pas été possible de remplir un document spécifique.  Afin de déterminer si une personne peut être considérée par la loi comme un mineur non accompagné, c’est en principe le service des Tutelles du SPF Justice qui doit soumettre la personne à un entretien (avec l’aide d’un interprète si nécessaire) pour comprendre sa situation, l’identifier, et analyser les documents d’identité et/ou d’état civil qu’elle a éventuellement avec elle.

Il n’existe actuellement aucune procédure officielle pour déterminer si un jeune arrêté a besoin ou non d’un interprète. La police agit au feeling.

L’Union professionnelle des traducteurs et interprètes assermentés n’est pas du tout surprise par cette situation. Depuis des années, elle ne cesse d’alerter les pouvoirs publics sur la pénurie d’interprètes. Une revalorisation et un refinancement de la fonction d’interprète juré, accompagné d’une meilleure formation des interprètes, semblent nécessaires. Je souhaite dès lors poser les questions suivantes.

Est-il exact qu'il n'existe actuellement aucune procédure officielle pour déterminer si un jeune arrêté a besoin ou non d'un interprète et que la police doit se baser à cet effet sur son sentiment du moment? Comment le ministre remédiera-t-il à cette situation?

Est-il également exact que la police n'a toujours pas, à ce jour, accès au registre national des interprètes assermentés?

Le rapport national belge sur les droits procéduraux des enfants étrangers soupçonnés ou accusés dans une procédure pénale/protectionnelle au sein de l’Union européenne de l'association Defence for Children Belgium de 2017 a une fois de plus mis en évidence un vieux point sensible. En effet, il n'y a pas suffisamment d'interprètes disponibles pour certaines langues et certains dialectes spécifiques. De plus, ils ne sont pas assez payés par l’Etat, ce qui n’est pas motivant et explique que certains interprètes ne veulent plus se déplacer. 

Quelles mesures avez-vous prises et quelles mesures allez-vous prendre pour assurer la disponibilité immédiate des interprètes et prévoir, pour ces interprètes, des rémunérations raisonnables afin d’augmenter leur disponibilité?

06.02 Koen Geens, ministre (en néerlandais): Monsieur le Président, Madame Lambrecht, un grand nombre des jeunes interceptés dans le pays sont signalés au service des Tutelles par la police et certains services publics, tels que des CPAS, des services de la jeunesse et des communes.

Dans la pratique, ils sont transférés le plus rapidement possible vers un centre d'observation et d'orientation de Fedasil où ils peuvent se détendre et où ils sont informés, en présence d'un interprète si nécessaire, de leurs droits et des mesures de protection et d'assistance dont ils peuvent bénéficier.

La situation change, dès lors qu'il s'agit de mineurs étrangers non accompagnés victimes d'une infraction ou arrêtés pour avoir commis des faits punissables. Ceux qui n'étaient pas encore connus sont également signalés par la police au service des Tutelles.

L'intervention d'un interprète est justifiée par l'obligation légale, en application de l'article 47bis, § 6, 4) du Code d'instruction criminelle, de faire appel à un interprète assermenté si une personne interrogée en qualité de victime ou de suspect ne comprend pas ou ne parle pas la langue dans laquelle se déroule la procédure. Si aucun interprète n'est disponible, il est demandé à la personne interrogée de noter elle-même sa déclaration.

Actuellement, la police n'a pas accès au registre national. Normalement, à partir de 2019, la police aura accès au registre national, à l'issue d'une évaluation de tous les interprètes par la commission d'agrément. Actuellement,  seuls les membres de l'ordre judiciaire ont accès au registre interne provisoire.

La Belgique a une société très internationale, qui apporte avec elle une grande diversité de langues et de dialectes. Nous avons donc besoin d'un effectif considérable d'interprètes, mais il est difficile de suivre l'évolution de la demande dans ce domaine. Depuis le début de cette législature, je m'efforce d'éliminer l'arriéré des indemnités. L'arriéré des honoraires, et notamment ceux des interprètes, est désormais largement résorbé, mais je ne dispose pas encore d'un budget suffisant pour envisager une révision du tarif. L'option de la vidéoconférence sera étudiée afin d'accroître la disponibilité des interprètes sur le terrain. Un tel projet pourrait également réduire les frais de déplacement et faire gagner du temps aux interprètes.

06.03 Annick Lambrecht (sp.a.) : Monsieur le Ministre, bien sûr, vous avez la volonté d'améliorer la situation, parce que vous savez à quel point les choses vont mal, mais il est difficile d'attendre que la vidéoconférence fonctionne. Après tout, cela coûtera aussi beaucoup d'argent. Le problème est aigu et des choses graves se passent en ce moment.

L’Union professionnelle des traducteurs et interprètes assermentés nous fait savoir également que, depuis l'actualisation des tarifs des interprètes en matière répressive, la rémunération des interprètes pour la plupart des langues du Moyen-Orient et d'Asie centrale, y compris les différentes dialectes de la langue kurde, le dari, le pachto, l'arabe, et également pour les langues indiennes et africaines, a diminué de 10 % au lieu d'augmenter. Ils reçoivent donc moins d'argent : leur rémunération s'élève à 48 euros bruts de l'heure. Les interprètes, qui sont tous des indépendants, paient toujours leur propre sécurité sociale et leurs propres impôts. Personne ne veut bien sûr travailler à ce tarif, surtout depuis que, en vertu du nouveau A.R., le prétendu tarif de nuit a été restreint à la tranche horaire comprise entre 22 heures et 6 heures alors qu'auparavant il était de 20 à 8 heures. La rémunération pour le travail du samedi a également été revue à la baisse. C'est, bien sûr, l'une des raisons pour lesquelles moins d'interprètes sont prêts à aller et venir en dehors des heures normales de bureau.

Ce n'est pas en expérimentant avec des vidéoconférences qu'on résoudra ce problème. Vous faites constamment la une des journaux, les choses vont vraiment mal partout, mais vous n'obtenez pas d'argent supplémentaire au sein du gouvernement. Vous êtes toujours une personne calme, ce qui est, à mon avis, une grande force mais je ne comprends pas - alors que nous vous interrogeons à ce sujet chaque semaine - pourquoi vous ne défendez pas plus ardemment une rémunération décente de ces personnes? Si nous devons attendre les vidéoconférences, je ne suis pas du tout rassurée, Monsieur le Ministre.

L'incident est clos.

 
 
 
 
 
 
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