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La situation des traducteurs et interprètes judiciaires traitée à l'audience de la Commission de la Justice grâce à l'UPTIA

Commission de la Justice du 6 janvier 2016

Compte rendu intégral

03 Question de M. Gautier Calomne au ministre de la Justice sur "la situation des traducteurs et interprètes dans la justice" (n° 8216)

03.01  Gautier Calomne (MR): Monsieur le président, monsieur le ministre, ces dernières semaines, l'Union professionnelle des traducteurs et interprètes assermentés (l'UPTIA) a tiré la sonnette d'alarme, en soulignant les problèmes de qualité de plus en plus nombreux à être observés pour les traductions en appui des procédures judiciaires. Pour ne citer qu'un exemple récent et abondamment commenté, le procès d'un ancien parlementaire a été reporté en raison d'un problème de traduction: certaines pièces du dossier n'avaient pas été traduites du néerlandais (la langue de l'instruction) au français (la langue du procès).

A la source d'une problématique assez large et répandue, l'UPTIA pointe du doigt les niveaux de rétribution relativement peu élevés des traducteurs par les pouvoirs publics dans notre pays, et qui ne soutiendraient donc pas un travail de qualité. Alors que par exemple, en France, le tarif d'une traduction peut se monnayer à 25 euros la page, il faut compter plutôt 8 euros en Belgique. L'UPTIA s'inquiète, en particulier, d'un arrêté royal en projet, dont elle estime qu'il appliquerait des tarifs inférieurs à ceux pratiqués chez nos voisins européens. À cet égard, l'Union professionnelle demande le triplement de l'enveloppe budgétaire des traducteurs et interprètes, prévue à charge du gouvernement, afin de la porter à 60 millions d'euros.

Le projet d'arrêté semble aussi prévoir que le temps d'attente des interprètes précédant une mission ainsi que le temps d'attente entre plusieurs missions menées au même endroit ne seront plus indemnisés. Autrement dit, l'interprète devra se tenir bénévolement à disposition jusqu'au début de l'audience ou de l'affaire suivante. En outre, la double tarification pour les traductions complexes ou pour les traductions le week-end est vouée à disparaître, avec comme exception les prestations effectuées entre 22 heures et 6 heures du matin les jours ouvrables. Enfin, l'UPTIA se plaint également de nombreux retards de paiement.

Vous en conviendrez avec moi, monsieur le ministre, ces différentes considérations interpellent. Des traductions de bonne qualité sont en effet une condition indispensable au bon fonctionnement de la Justice dans notre pays. Il est donc important que tout soit mis en œuvre pour mettre en place des conditions de travail appropriées pour ce corps de métier.

Monsieur le ministre, les traducteurs et interprètes ont un cahier de doléances relativement chargé. Ils réclament un statut à part entière, un niveau de rémunération convenable, un tarif unique pour toutes les langues, le paiement direct des interprètes dès leur arrivée sur le lieu de mission, une augmentation des tarifs en cas de traduction urgente ou complexe ainsi que pour les prestations de week-end et de nuit.

Monsieur le ministre, quel regard portez-vous sur ces revendications? Avez-vous eu l'occasion de rencontrer les représentants de l'UPTIA pour discuter de ces différentes problématiques? Avez-vous éventuellement déjà retenu des pistes de solutions pour répondre, en tout ou en partie, aux demandes des traducteurs et interprètes? Qu'en est-il exactement du projet d'arrêté royal que je viens d'évoquer? Ce dernier tient-il compte des remarques du secteur? Le cas échéant, de quelle manière?

Monsieur le ministre, je vous remercie d'avance pour vos éclaircissements.

03.02  Koen Geens, ministre: Monsieur Calomne, je vous remercie pour cette question sur une problématique qui m'a également interpellé depuis mon arrivée à la Justice. Le programme de réforme des frais de justice comporte plusieurs actions, dont une concerne les traducteurs et les interprètes. Dans cette optique, une analyse approfondie de tous les états de frais ainsi qu'une analyse comparative des tarifs dans plusieurs pays ont été réalisées. Ces analyses ont été présentées aux organisations professionnelles durant le mois de mai 2015. De cette consultation globale est ressortie une proposition d'approche qui a été présentée le 2 juillet 2015. La plupart des réactions ont été intégrées dans une nouvelle proposition, présentée en septembre 2015.

Après quelques ajustements, une proposition améliorée a été avancée le 2 décembre 2015, à la suite de quoi une proposition finale a été rédigée et soumise pour avis aux deux collèges fin décembre. Quant aux traducteurs, je partage votre opinion que les traductions néerlandais-français et vice-versa n'étaient pas rémunérées d'une façon professionnelle. En effet, le tarif de 8,14 euros par page ne correspond plus à la réalité économique et une augmentation substantielle a été formulée. Nous avons d'ailleurs adapté également le mode de calcul qui se fait plutôt par ligne ou par mot.

Je partage également votre point de vue selon lequel chaque traducteur devrait être rémunéré d'une façon non discriminatoire. En prenant le mode de calcul par mot, le fait de différencier les tarifs est une réponse à la discrimination qu'on installerait avec un tarif unique pour toutes les langues. Pour moduler les tarifs, mon administration a comparé plusieurs textes internationaux dans les différentes langues, en fixant un tarif qui garantit une rémunération non discriminatoire.

Par contre, pour les interprètes, le tarif unique s'appliquera. Mais comme les quatre anciens tarifs variaient entre 34 et 58 euros, les organisations professionnelles demandent évidemment le tarif le plus élevé, ce qui n'est budgétairement pas supportable car le tarif le plus haut ne représentait que 2 % des interprétations. Dans ce contexte, la discussion portait surtout sur le temps d'attente et sa rémunération. En effet, mon administration avait proposé d'inclure dans le tarif de la prestation la rémunération du temps d'attente moyen, calculé sur base de l'analyse de toutes les factures 2014. Mais comme je compte proposer aux barreaux et aux collèges de changer le mode d'organisation des audiences, c'est-à-dire de laisser tomber la tradition de convoquer tous les experts à 9 heures pour les audiences de l'avant-midi, il est préférable de les planifier à une heure fixe.

Cette optimalisation aurait été bénéfique pour les interprètes. Comme ils ont finalement opté pour le maintien de la rémunération du temps d'attente, cette optimalisation sera plus bénéfique pour le budget.

D'autres actions renforceront une approche plus professionnelle des frais de justice. La création du bureau des frais de justice, composé de professionnels en taxation, garantira une approche non discriminatoire envers les prestataires de services et également un meilleur contrôle. La création d'un registre national pour les traducteurs et interprètes, à mettre en vigueur fin 2016, donnera à chaque magistrat une vue plus claire sur la disponibilité des traducteurs et interprètes dans sa juridiction. De plus, je compte opérationnaliser davantage les critères de qualité à insérer dans la loi du 10 avril 2014, qui est à l'origine de ce registre.

03.03  Gautier Calomne (MR): Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette réponse complète et détaillée. Pourrais-je disposer de votre texte écrit car votre débit était assez rapide?

L'incident est clos.

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