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D’une proposition de l’UPTIJ à un projet d’AR sur les numéros d’identification anonymes pour les traducteurs et les interprètes

Le long chemin vers un AR sur l’utilisation de numéros d’identification anonymes pour les traducteurs et les interprètes dans les dossiers judiciaires sensibles.

La loi du 10 avril 2014 était une initiative de Sonja Becq, alors députée fédérale, et marque une étape importante dans l’organisation de la fonction d’expert judiciaire et de traducteur, d’interprète et de traducteur-interprète jurés.

Initialement, un régime distinct avait été prévu pour le Registre des traducteurs et/ou interprètes jurés en ce qui concerne l’accessibilité du Registre national. Sur l’avis du Collège des procureurs généraux, le choix s’était porté sur une accessibilité restreinte. Pour ce Collège, il ne semble pas s’indiquer d’accorder purement et simplement un libre accès à ce registre à des “tiers”, hormis aux autorités judiciaires et policières proprement dites – et, par extension, éventuellement aux barreaux et au cercle proprement dit des traducteurs et interprètes. (voir Doc. Chambre 52-0844/002, 88). À cet égard, on pense surtout aux traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes qui interviennent dans des affaires pénales délicates et dont la vie privée doit être protégée.

Début 2017, le ministre de la Justice de l’époque, Koen Geens, a pris une initiative législative visant à modifier la loi du 10 avril 2014. En février 2017, la Commission de la justice de la Chambre des représentants a demandé un avis à l’UPTIA à la suite de la discussion du projet de loi modifiant la loi du 10 avril 2014 (loi sur le Registre national). Cet avis de l’UPTIA a été transmis aux membres de la Commission de la justice le 16 février 2017.

Lors de la lecture du projet de loi au sein de la Commission de la justice en mars 2017, la députée Kristien Van Vaerenbergh a également évoqué une des recommandations de cet avis de l’UPTIA. En témoigne le rapport de la première lecture du projet de loi modifiant la loi du 10 avril 2014, discuté le 3 mars 2017 en séance de la Commission de la justice (page 11) :

— l’UPTIA préconise d’omettre les noms des traducteurs désignés dans des dossiers judiciaires sensibles comme ceux liés au terrorisme et d’utiliser en lieu et place un numéro d’identification.

 

 

En se basant entre autres sur l’avis de l’UPTIA aux membres de la Commission de la justice en février 2017 (qui a également été communiqué au directeur général de l’Organisation judiciaire de l’époque), nous lisons en outre ce qui suit dans la réponse de la ministre à la page 24 de ce rapport :

Le ministre précise se rallier à la remarque formulée relativement à l’intervention d’experts dans les affaires liées au terrorisme. Ces personnes ne sont reprises dans la partie publique du registre que par la mention d’un numéro d’identification.

Il est clair que le concept et le terme « numéro d’identification » ont ainsi été introduits dans le débat par l’Union professionnelle des traducteurs et interprètes assermentés.

Les premières modifications effectives au Registre national ont ensuite été apportées par la loi du 19 avril 2017. À la Suite d’un amendement de Sonja Becq, dans le texte légal original de la loi, la phrase "Le Roi détermine les instances qui peuvent avoir accès à ces informations" a été remplacée par : "Ce registre peut être consulté librement sur le site web du Service public fédéral de la Justice".

La justification de l’amendement était la suivante : Par ailleurs, au cours des travaux parlementaires, le champ d’application du registre qui portait initialement sur les missions judiciaires a été étendu à toutes les missions légales. Cela signifie que toute personne devant présenter une traduction sur la base d’une disposition légale est tenue de faire appel à un traducteur juré inscrit au registre national. C’est la raison pour laquelle tout le monde doit pouvoir consulter ce registre. En ce qui concerne les traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes dont l’identité ne peut être connue pour des raisons de sécurité, une liste interne séparée peut être établie.

Depuis, la législation prévoit que le Registre national peut être consulté librement sur le site web du SPF Justice. L’UPTIA a immédiatement perçu les dangers potentiels pour les collègues interprètes travaillant dans le cadre d’écoutes téléphoniques et pour les traducteurs ou interprètes travaillant dans des dossiers sensibles en général. Par conséquent, notre organisation professionnelle s’est mobilisée comme nulle autre pour trouver une solution à ce problème. Lors de contacts avec le directeur général de l’Organisation judiciaire du SPF Justice de l’époque, au cours de la période 2017-2018, l’UPTIA a demandé à plusieurs reprises d’être attentif à la sécurité des traducteurs et des interprètes, en particulier dans les dossiers délicats en matière pénale.

Le conseil d’administration de l’UPTIA s’est alors également adressé au député Stefaan Van Hecke pour qu’il lui soumette une question parlementaire à ce sujet. Cette question écrite « L’anonymat et la protection des traducteurs et interprètes » résume bien les préoccupations et la demande de l’UPTIA :

Lors de la mise en place du registre national des traducteurs-interprètes auprès du SPF Justice, d'aucuns se sont inquiétés de la protection de la vie privée des professionnels qui y sont enregistrés. Il n'est en effet pas exclu que dans des affaires pénales délicates notamment, les traducteurs-interprètes fassent l'objet de menaces et autres intimidations. En 2010 déjà, le Collège des procureurs généraux déconseillait de donner libre accès à des tiers à l'ensemble des données de contact. À cet égard, l'Union Professionnelle des Traducteurs et Interprètes Assermentés cite l'exemple de la méthode pratiquée par le SPF Intérieur (CGRA, CCE, etc.) qui garantit l'anonymat des interprètes sollicités. S'inspirant de cet exemple, la solution la plus simple consisterait à ne faire apparaître sur le site internet qu'une adresse courriel et un numéro de GSM et de cacher l'adresse et le numéro de téléphone fixe des traducteurs et interprètes. Les prestataires de services sont ainsi parfaitement joignables par les différents intéressés, mais le grand public n'a pas accès à leur adresse.

1. Quelles mesures concrètes souhaitez-vous prendre de sorte à garantir la protection et la sécurité des traducteurs, interprètes et des interprètes qui traduisent le contenu d'écoutes téléphoniques, appelés à intervenir dans des affaires sensibles, y compris en dehors des dossiers liés au terrorisme (traite des êtres humains, trafic d'êtres humains, grand banditisme, trafic d'armes, de drogue, indicateurs, etc.)?

2. À quelle échéance ces mesures entreront-elles en vigueur?

(*) Afin de permettre leur identification, les interprètes reçoivent un numéro unique au début de leur travail que seul le service des interprètes, au sein du CGRA, connaît. Ainsi, les interprètes qui lui prestent leurs services voient leur anonymat garanti dans le dossier administratif.

Dans sa réponse à cette question parlementaire, le ministre de l’époque, Koen Geens, a indiqué que la recherche d’une solution était en cours et a déjà annoncé une nouvelle modification législative (pour l’automne 2019) ainsi qu’un arrêté d’exécution (AR) :

Le Comité de Pilotage du Registre national des experts judiciaires et des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés est conscient de cette question de protection et sécurité des données présentes dans le registre. Cette question se pose d'ailleurs également pour les experts judiciaires. Ce point a été abordé lors du Comité de pilotage du 7 mai 2018 et différentes solutions ont été envisagées. Celle retenue est d'utiliser un identifiant numérique à la place du nom et prénom lors d'interventions dans des dossiers "sensibles". Le lien entre l'identifiant numérique et l'identité de la personne ne peut être réalisée que par les gestionnaires du registre national. La nouvelle loi cadre en cours de rédaction prévoit par ailleurs dans son article 7: "Ce registre est mis à disposition sur le site internet du service public fédéral Justice. Le Roi détermine les données qui peuvent être consultées". Un arrêté d'exécution doit donc être rédigé afin de fixer les données qui seront consultables.

Le nombre de données consultables sera limité au strict nécessaire. L'objectif actuel est que ces mesures entrent en vigueur au printemps 2019. Les données concernant une personne inscrite au registre national seront consultables via le site internet du SPF Justice uniquement à partir du moment où la Commission d'agrément aura remis un avis positif. La Commission a jusqu'au 30 novembre 2021 pour examiner l'ensemble des inscriptions des personnes reprises dans le registre national.

Le 25 avril 2019, la modification législative annoncée ci-dessus a été adoptée en séance plénière du Parlement. L’objectif principal de la modification législative était d’inclure dans le Code judiciaire un livre V contenant tous les articles relatifs aux dispositions du Registre national des experts judiciaires et des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés (articles 555/6 à 555/16).

Depuis la nouvelle modification législative par la loi du 5 mai 2019, l’article 555/11 du Code judiciaire dispose notamment :

   § 2. L'autorité compétente peut attribuer par dossier un numéro d'identification anonyme, dans les cas où il est exigé que l'identité de l'intéressé qui agit en sa qualité soit cachée pour des raisons de sécurité. Ce numéro d'identification anonyme est différent du numéro d'identification visé au premier alinéa et consiste à cacher l'identité de l'intéressé qui agit en sa qualité. Les modalités d'octroi et de gestion de ce numéro d'identification anonyme sont fixées par le Roi.

   Un numéro d'identification anonyme peut également être attribué dans les cas prévus à l'article 555/15.

(…)
   Par dérogation à l'alinéa précédent, si le numéro d'identification anonyme est utilisé, en aucun cas le nom et la signature ne sont mentionnés.

Depuis fin mars 2022, le Registre national est enfin effectivement accessible au public. Nous sommes bien conscients que de nombreux collègues traducteurs et interprètes ne sont pas opposés à l’accessibilité du Registre national en tant que tel et qu’ils sont avant tout heureux de pouvoir être trouvés par des clients potentiels. Entre autres sous l’influence des arguments de l’UPTIJ, les traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes ont également la possibilité de décider eux-mêmes des données qu’ils souhaitent voir apparaître de manière visible sur le site web. Seul le nom (nom de famille) est obligatoire.

L’ouverture du Registre national présente toutefois un inconvénient : toute personne peut également effectuer une recherche par numéro VTI sur Just-on-web et le nom et les éventuelles autres données (de contact) du traducteur ou de l’interprète concerné s’affichent. Pendant des années, les traducteurs et les interprètes ont pensé qu’ils étaient relativement protégés par le fait qu’uniquement leur numéro VTI figurait sur une feuille d’interrogatoire ou une réquisition. Mais soudain, l’ouverture du Registre et la fonction de recherche ont concrétisé les craintes de nombreux collègues, à savoir qu’ils pouvaient être « retrouvés ». Ils craignent en effet d’être « retrouvés » par les suspects et les prévenus dans les dossiers pour lesquels ils ont servi de traducteurs, d’interprètes ou d’interprètes pendant le écoutes. De même, les collègues qui travaillent ou ont travaillé sur des dossiers SKY ECC, des dossiers terroristes ou d’autres dossiers sensibles.

Avec l’UPTIJ, nous nous sommes renseignés à ce sujet avant même l’ouverture du Registre. Mme Brigitte Collin, chef de service du Registre national, nous a donné la réponse suivante le 15 mars 2022 :

Comme vous le savez peut-être, les personnes inscrites dans le Registre national ont déjà été informées de la publication imminente du Registre et ont été informées qu’elles peuvent elles-mêmes indiquer dans leur profil quelles données supplémentaires elles peuvent rendre publiques et comment elles peuvent le faire.

Comme vous le constatez à juste titre, l’arrêté d’application réglementant l’utilisation d’un numéro d’identification anonyme n’a pas encore été rédigé et publié. Afin de pouvoir mettre en œuvre le numéro d’identification anonyme de manière pratique et absolument sûre, les représentants de l’Ordre judiciaire et du Registre national doivent encore définir la procédure à suivre et les applications utilisées devront très probablement être adaptées. Nous espérons que cela pourra encore se faire dans le courant de cette année.

À laquelle l’UPTIJ a immédiatement répondu avec l’IUPTIJ en transmettant au profit du Registre national et de l’Ordre judiciaire la législation installée en 2016-17 via la loi Pot-pourri IV en vue de la protection de l’anonymat des fonctionnaires de police.

Lors de la réunion de concertation structurelle avec les associations professionnelles de traducteurs et d’interprètes du 24 février 2023, l’état d’avancement du projet d’AR des numéros VTI anonymes a été brièvement discuté. Ensuite, le 11 avril 2023, l’UPTIJ a fourni au cabinet du ministre de la Justice des informations sur des questions parlementaires et les réponses sur le système appliqué aux Pays-Bas, à l’intention du groupe de travail mis en place au sein du SPF Justice en vue de l’élaboration de l’AR.

https://www.openkamer.org/kamervraag/2021Z18791/

https://zoek.officielebekendmakingen.nl/kv-tk-2021Z18791.html

https://zoek.officielebekendmakingen.nl/ah-tk-20212022-981.html

Il n’y a rien de prévu dans le Registre néerlandais en tant que tel. Mais il existe bel et bien aux Pays-Bas une régulation élaborée par le ministère public et la police pour les interprètes d’interception (interprètes travaillant sur des écoutes téléphoniques). La police néerlandaise a en effet fourni à tous les interprètes d’interception travaillant pour la police un compte (= account) anonymisé pour les écoutes. Ce numéro de compte sert également de numéro anonyme (personnel). Ces numéros ne peuvent pas être retracés dans le Registre des interprètes et traducteurs jurés.

Lors de l’avant-dernière réunion avec le SPF Justice et le cabinet du ministre, les représentants des associations professionnelles ont enfin reçu une présentation du projet d’AR. La délégation de l’UPTIJ a posé de nombreuses questions et a émis des remarques lorsque cela s’avérait nécessaire.

Nos membres peuvent lire tout cela dans une contribution séparée exclusivement destinée aux membres de l’UPTIJ. À la demande du cabinet du ministre et du service du Registre national, nous demandons également à nos membres d’aider et d’apporter leur contribution par le biais d’exemples concrets tirés de leur expérience professionnelle.

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