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Des traductions à bas prix pourraient coûter très cher à la justice

Des traductions erronées et une communication déficiente en matière judiciaire peuvent avoir de lourdes conséquences. Il est donc essentiel que l’on investisse plus que jamais dans des traductions et des interprétations de qualité en matière judiciaire.

L’Union professionnelle des Traducteurs et Interprètes assermentés (UPTIA) a, tout au long de l’année, souligné le danger représenté par des tarifs ridiculement bas pour les traducteurs et interprètes en affaires pénales et par le souhait de faire des économies au sein de la Justice. Une directive européenne de 2010 relative au droit à la traduction et à l’interprétation, qui devrait garantir davantage de qualité, n’a toujours pas été transposée dans la législation belge.

En tant qu'Union professionnelle du secteur, nous constatons et déplorons que le niveau de qualité des traductions pose de plus en plus de problèmes dans les dossiers pénaux. Après les problèmes rencontrés suite à la traduction de certains documents et invoqués récemment par l’un des avocats de la défense lors du procès de l’Eglise de Scientologie, des problèmes similaires surgissent à présent dans l'affaire Wesphael, repoussant le début du procès devant la cour d'Assises du Hainaut de février 2016 à septembre 2016.

Des traductions bon marché et le projet de ne plus rémunérer les interprètes pour le temps d’attente lors des audiences risquent, à terme, de coûter très cher à la Justice : chaque affaire reportée signifie en effet une perte de temps et de moyens pour la Justice et la société, sans parler des coûts supplémentaires liés aux nouvelles traductions ou aux traductions supplémentaires. A cela s’ajoute évidemment la détérioration récurrente de l’image de l’appareil judiciaire.

Nous nous réjouissons néanmoins de constater que le Parquet du Hainaut fera retraduire les pièces du dossier Wesphael que les parties estiment essentielles avec à l’esprit cette fois, l’article 3 de la directive européenne 2010/64/EU. Cette directive stipule que les Etats membres doivent veiller à ce qu’un prévenu ou un accusé qui ne comprend pas la langue de la procédure judiciaire, reçoive dans un délai raisonnable une traduction écrite de toutes les pièces essentielles du procès, afin que son droit à la défense soit garanti et pour permettre un déroulement équitable de la procédure.

L’UPTIA rappelle que la législation linguistique de notre pays permet à chacun d’être jugé dans sa propre langue (nationale). Cela vaut pour les simples affaires de police, les affaires correctionnelles mais aussi pour les procès d’Assises. Par conséquent, des dossiers complets, comptant parfois des milliers de pages, doivent souvent faire l’objet de traductions du néerlandais vers le français et inversement. Les traducteurs doivent facturer leur travail au tarif famélique (et imposé) de 8,14 euros (bruts !) par page de 30 lignes, soit 0,27 euros par ligne. Un traducteur professionnel, s’il veut livrer un travail de qualité, traduit en une journée de travail normale de huit heures, entre six à huit pages. Inutile de vous démontrer plus avant qu’avec 8,14 euros par page, nous ne gagnons pas notre vie.

A titre de comparaison : en France, le tarif de traduction pour la justice s’élève à 25 euros par page de 250 mots en français. Le tarif minimum en Allemagne est de 1,55 euros par ligne. Dans les pays voisins, un prix unique est en outre appliqué pour toutes les combinaisons de langues.

Malgré plusieurs réunions avec les représentants du secteur au cours de l’année écoulée, le cabinet du Ministre Geens et l’administration du SPF Justice ne semblent pas encore réaliser pleinement qu’il y a un prix à payer à la professionnalisation indispensable de cette branche du secteur juridique.

Dans les propositions tarifaires que l’Union professionnelle des Traducteurs et Interprètes assermentés (UPTIA) a pu recevoir jusqu’à présent, il subsiste toujours une discrimination dans les combinaisons de langue français-néerlandais et inversement, par rapport aux autres langues, tant pour les traductions écrites que pour les traductions des écoutes téléphoniques. En outre, le cabinet du Ministre Geens ne veut clairement pas fournir d’efforts pour élever le niveau de qualité global des traductions et des interprétations en matière pénale ni pour améliorer les conditions de travail.

L’UPTIA souligne une fois de plus l’élémentaire nécessité d’assurer, dans un état de droit qui se respecte, des traductions et des interprétations de qualité en affaires pénales, et ce afin de garantir que les normes reprises dans la Convention européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg soient intégralement respectées.

Des traductions erronées et une communication déficiente en matière judiciaire peuvent avoir de lourdes conséquences. Il est donc essentiel que l’on investisse plus que jamais dans des traductions et des interprétations de qualité en matière judiciaire. Des traducteurs et interprètes indépendants, qui n’ont aucun lien avec les avocats ou les services de police, sont les mieux placés pour assurer en toute neutralité la communication entre les parties s’exprimant dans des langues différentes, faciliter le travail des avocats, des magistrats et des juges et garantir le droit à un procès équitable.

L’Union professionnelle des Traducteurs et Interprètes assermentés demande dès lors au gouvernement fédéral de dégager des moyens suffisants pour un paiement correct des traducteurs et interprètes dans les procédures pénales et de doubler, voire tripler le budget annuel alloué aux traducteurs et interprètes, pour le faire passer à 40, voire 60 millions d’euros.

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